Le site Zenit a “pour objectif de faire connaître ‘le monde vu de Rome’… de diffuser les informations avec professionnalisme, avec fidélité et au service de la vérité” (VOIR 1). Il est exact que, globalement, l’information diffusée est de qualité. Cependant, en présence d’un monde complexe, et de certains sujets sensibles, aucun média ne peut prétendre à une diffusion répondant aux rigoureuses, mais strictement inatteignables, exigences de “professionnalisme, fidélité, service de la vérité”. L’article “Soixante dix musulmans écrivent au pape François” édition du 20 mars 2014 (LIRE), illustre les difficultés de satisfaire aux conditions d’un tel objectif, quand il s’agit des relations avec l’islam, où les considérations diplomatiques ne sont pas absentes.

– 1. Dialogue interreligieux. Deux lettres de leaders musulmans (2014, 2007)

La lettre (mars 2014) de 70 musulmans de différentes écoles de théologie, issus de 30 pays, a été remise au pape François au cours d’une rencontre organisée le 20 mars 2014 au matin, à la Maison Sainte-Marthe, au Vatican, avant l’audience générale. L’objectif de cette rencontre était de renouveler, et renforcer le dialogue islamo-chrétien. L’analyse ci-dessous, concerne cet extrait (environ un tiers) de l’article de Zenit:

“Dans leur lettre, les musulmans se disent « profondément impressionnés par l’esprit évangélique d’humilité et de service » que le pape représente par ses faits et gestes, esprit qui « suscite en nous les musulmans », ajoute-t-elle, « confiance et espérance, en nous faisant revivre la parole de Dieu ».

« En vérité – ajoutent les musulmans en citant le Coran – les plus proches des croyants, en amour, sont ceux qui disent: nous sommes chrétiens, parce qu’entre eux il y a des prêtres et des moines, et parce qu’ils ne sont pas arrogants » (Coran 5:82).

La délégation interreligieuse a ensuite fait part de son appréciation pour les paroles du pape dans l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium, en particulier pour les paroles dites au paragraphe 253 où le pape écrit : « Le vrai islam et une correcte interprétation du Coran s’opposent à toute violence »“.

Il faut noter qu’il y a 7 ans, en octobre 2007, 138 leaders musulmans publiaient une lettre ouverte au pape Benoît XVI et aux responsables de différentes confessions chrétiennes. Cette lettre (LIRE), qui invite les deux religions à regarder ce qu’elles ont en commun, a été publiée en plusieurs langues sur un site “A Common Word between Us and You” (Une parole en commun) créé pour la circonstance. En janvier 2008, Notre-Dame de Kabylie avait publié un article sur cette lettre ouverte (VOIR).

Les deux lettres manifestent un objectif noble et séduisant, celui de l’indispensable dialogue islamo-chrétien dans un but d’union de la famille humaine et de fraternité universelle. L’importance d’un tel dialogue, dans un monde en état d’instabilité critique, impose une préparation sérieuse des interlocuteurs, une connaissance étendue de leur psychologie, des contraintes de chacune des deux religions, i.e. de la prudence dans les échanges. A ce sujet, dans un article (CF) de la revue Catholica l’islamologue Marie-Thérèse Urvoy voit une première condition dictée par le simple bon sens: “on n’est jamais seul à dialoguer et la question est de savoir si les partenaires des chrétiens ont, du dialogue, la même conception qu’eux”. Pour être suivi d’effets, un tel dialogue implique une stricte exigence de vérité, en d’autres mots d’échapper à la pratique du “bal masquédont parle le père François Jourdan [1] (cf. la réponse à la question 9 deART), que les deux interlocuteursont adopté jusqu’à présent. Le problème fondamentaldela liberté religieuse, et des menaces qui pèsent sur les convertis au christianisme [2],est un exemple pour lequel le père Jourdanmontre l’importance del’exigence de vérité dans les échanges islamo-chrétiens, dans ces termes:  

“Le converti persécuté attire la persécution, ou au moins la grave réprobation, sur ceux qui l’accueillent. L’intolérance du Coran (2,217; 3,86-91.106; 4,14.115.137; 16,106) et de la tradition sur le fait de quitter l’islam bloque et les musulmans et les non-musulmans. Il n’y a que le courage de la vérité qui puisse débloquer. « La vérité vous rendra libres » dit Jésus (Jn 8,32) et Gandhi appelait la non-violence ‘satyagraha’(en hindi) qui veut dire’ force de la vérité’. Et la vérité, plus qu’un concept si fort soit-il, c’est une personne venue du Cœur de Dieu : Jésus. Ne pas se laisser prendre par la peur aidera tout le monde, et même les musulmans eux-mêmes, à se libérer pour être enfin disponibles à la Vérité.”

De son côté, dans le cadre du Synode des Évêques du Moyen Orient (octobre 2010), Mgr Antoine Beylouni, archevêque libanais d’Antioche s’exprimait ainsi: “Le Coran inculque au Musulman la fierté d’avoir la seule religion vraie et complète… C’est pourquoi il vient au dialogue avec cette supériorité et avec l’assurance d’être victorieux. … Le Coran permet au musulman de cacher la vérité au chrétien et de parler et agir contrairement à ce qu’il pense et croit”. Après avoir parlé des versets abrogés et abrogeant, des versets prônant la violence sacrée, il ajoute: “Devant tous ces interdits et d’autres semblables faut-il supprimer le dialogue? Non, certainement pas. Mais il faut choisir les thèmes abordables et des interlocuteurs chrétiens capables et bien formés, courageux et pieux, sages et prudents … qui disent la vérité avec clarté et conviction…”. Cette prudence rejoint la position de Benoît XVI relative au dialogue avec les musulmans. L’intervention de Mgr Antoine Beylouni a été censurée. Le 22 octobre une version expurgée pour la presse a été diffusée par le site de L’Osservatore Romano avec de nombreuses coupures. L’intégralité de cette intervention est cependant reproduite sur un site libanais (LIRE).

Loin devant les questions théologiques, dans le dialogue les aspects pratiques sont les plus essentiels, tels que: commandements de la loi naturelle, nécessité de ne pas se servir du nom de Dieu pour se livrer à la violence, reconnaissance de la parité entre homme et femme, égalités des droits pour les non musulmans vivant en terre d’islam, liberté religieuse, droit de changer de religion. Le dialogue interreligieux n’est pas désavoué, il est simplement replacé dans le cadre de ses aspects prioritaires, sur la base d’une approche réaliste et objective des questions que ce dialogue implique. Comme lors de la leçon de Ratisbonne, la référence du Pape est un “dialogue des cultures” orienté vers les répercussions culturelles, et éthiques, résultantes pour les différentes religions.

– 2. Analyse de l’article de Zenit

2.1 Point 253 d’Evangelii Gaudium. Historique.

Le texte de Zenit mentionne la satisfaction des théologiens musulmans pour les paroles du pape dans l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium, en particulier pour ce que dit le pape dans le paragraphe 253 : «  Le vrai islam et une correcte interprétation du Coran s’opposent à toute violence »”.

Les paragraphes 252 et 253 d’Evangelii Gaudium, avec l’éloge de l’islam qu’ils contiennent, ont été très douloureusement ressentis par de nombreux convertis au catholicisme issus de l’islam. Plus particulièrement c’est le cas de l’assertion “Les écrits sacrés de l’Islam gardent une partie des enseignements chrétiens“. Or, pour ces convertis l‘enseignement chrétien a un socle incompatible avec l’enseignement de l’islam : les deux commandements de la Loi d’Amour” énoncée par Jésus, commandements qui contiennent “toute la Loi, et les Prophètes“. En outre, l’enseignement chrétien offre Jésus en tant que Modèle pour guider les hommes, et mettre en pratique la “Loi d’Amour” dans leur vie. Le “Beau Modèle” (terme “officiel”) des musulmans est Mahomet, dont la Sira donne la biographie guerrière, et celle relative à l’élimination de ses opposants. C’est sur cette base que l’expansion musulmane s’est faite par la guerre, ses exactions étant dans le prolongement de l’attitude du prophète de l’islam. C’est en faisant le premier choix pour modèle, ceci en pleine connaissance de ce que représente chacun de ces deux modèles, que des musulmans sont amenés à se convertir au christianisme, c’est-à-dire à “marcher comme Jésus a marché Lui-même” (Lettre 1 Jean 2;1-4).

Pour ces raisons, les néo-chrétiens ex-musulmans rejettent tout lien entre les enseignements du christianisme et ceux de l’islam. Aussi, dans les points 252-253 d’Evangelii Gaudium, ils discernent l’annonce implicite de l’inutilité de leur conversion au christianisme. Un article de Notre-Dame de Kabylie est consacré à ce sujet (LIRE). Cet article fait aussi apparaître que ces points 252 et 253 semblent avoir été écrits à la suite d’un message très clair de Mahmoud Abdel Gawad, conseiller pour les affaires interreligieuses de l’imam Ahmed al-Tayyeb d’al-Azhar, la plus haute autorité religieuse du sunnisme. En effet, début juin, ce conseiller d’al-Azhar évoquait la possibilité de reprise d’un dialogue, qui aurait été compromis par Benoît XVI (?), dans ces termes: Les problèmes que nous avons eus n’étaient pas avec le Vatican, mais avec l’ancien pape.  Maintenant, les portes d’Al-Azhar sont ouvertes, le Pape François est un nouveau pape. Nous attendons qu’il fasse un pas vers nous, en déclarant que l’islam est une religion pacifique, que les musulmans ne cherchent pas la guerre ou la violence, ce serait un réel progrès en soi“. Cette information est donnée, le 8 juin 2013, par le site islamique “Oumma.com” (VOIR), i.e. bien avant l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium (24/11/2013).

L’acceptation de la condition formulée par Mahmoud Abdel Gawad pour une reprise du dialogue, réside dans la dernière phrase du point 253: “Face aux épisodes de fondamentalisme violent qui nous inquiètent, l’affection envers les vrais croyants de l’Islam doit nous porter à éviter d’odieuses généralisations, parce que le véritable Islam et une adéquate interprétation du Coran s’opposent à toute violence“. Immédiatement après, le 05/12/2013 le site Zenit pouvait annoncer : “Une page d’incompréhensions semble tournée”. Le secrétaire du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, le père Miguel Angel Ayuso Guixot, accompagné par le nonce apostolique en Égypte, a alors été reçu à l’Université al-Azhar du Caire, le 3 décembre. “Ils ont été accueillis par l’adjoint du Grand imam, Abbas Shouman, par le conseiller pour le dialogue, Mahmoud Azab, et par une délégation de représentants constituée de hautes personnalités.” (cf. Zenit).

2.2 Référence des théologiens musulmans :  le verset 82 de la sourate V concernant les moines et les prêtres “chrétiens”

Zenit donne une place de choix à cette référence coranique. Dans la lettre adressée au pape François, elle a pour objet de mettre en relief l’estime et l’admiration des musulmans pour les moines et les prêtres chrétiens. Le choix de ce verset est plutôt maladroit, car il met en évidence une manipulation du texte à deux niveaux:

(a) Le verset est amputé de la première phrase qui contredit l’interprétation de ces théologiens. En effet cette phrase est: “Tu trouveras certainement que les Juifs et les associateurs (i.e. les chrétiens) sont les ennemis les plus acharnés des croyants,

(b) La traduction de “naçara” (nazaréens) par “chrétiens” (cf. plus bas).

D’où le soupçon de taqqya (la dissimulation légale,TAQQYA) en dar al Harb (la terre de la guerre, i.e. celle des infidèles, où la ruse guerrière est permise), soupçon qui illustre ce qu’a dit Mgr Antoine Beylouni dans le cadre du Synode des Évêques du Moyen Orient d’octobre 2010 (cf. le § 1 ci-dessus).  En effet le texte complet exact est:

82 Tu trouveras certainement que les Juifs et les associateurs (i.e. les chrétiens) sont les ennemis les plus acharnés des croyants. Et tu trouveras certes que les plus disposés à aimer les croyants sont ceux qui disent: ‹Nous sommes nazaréens.› C’est qu’il y a parmi eux des prêtres et des moines, et qu’ils ne s’enflent pas d’orgueil”.

Or les “nazaréens” (naçara), que la lettre des théologiens traduit par “chrétiens“, sont les adeptes d’une secte judéo-chrétienne qui, comme l’islam, niait la divinité de Jésus. Ainsi Muhammad Hamidullah, dans sa version bilingue arabe-français du Coran (qui fait autorité dans le monde francophone), refuse de traduire le mot naçara par chrétiens. Il écrit «nazaréens» en divers autres endroits, expliquant en note de l’un d’entre eux: «nazaréens, terme désignant une secte judéo-chrétienne». Par contre, le terme “associateurs” est réservé aux chrétiens, qui associent à Dieu deux autres divinités. D’ailleurs le verset qui suit ne laisse aucun doute sur ces soi-disant “chrétiens”, qui reconnaissent immédiatement la mission divine de Mahomet.

83. Et quand ils entendent ce qui a été descendu sur le Messager [Muhammad], tu vois leurs yeux déborder de larmes, parce qu’ils ont reconnu la vérité. Ils disent: ‹Ô notre Seigneur! Nous croyons: inscris-nous donc parmi ceux qui témoignent (de la véracité du Coran).

Ce verset 83 est très clair, car lié au refus bien connu de la divinité de Jésus par le judéo-nazaréisme opposé à la foi des apôtres, refus maintes fois exprimé dans le Coran, livre “descendu” (terme de la théologie islamique) sur le “Messager”.  Pour cette secte l’opposition à la foi des Apôtres est totale. Pour le nazaréisme, comme pour l’islam, Jésus n’est pas sauveur et n’a rien de divin. En outre cette secte professait une idéologie de guerre universelle, incompatible avec le christianisme, mais compatible avec l’islam. Des chrétiens de foi trinitaire n’auraient pas pu s’exprimer ainsi.

– 3. Conclusion

En se référant au verset 82 de la sourate V, comme preuve de la grande estime de l’islam pour les moines et prêtres chrétiens, les 70 théologiens musulmans se sont montrés étrangement maladroits. Une telle maladresse éveille immédiatement le soupçon de taqqya, vis-à-vis des objectifs de la lettre qu’ils ont adressée au pape François. Ceci d’autant plus que les versets 31, 34 et 35 de la sourate 9 sont une condamnation claire des moines. Sur cette base, et celle du théologien et commentateur du 13ème siècle Ibn Taymiyya, dans un opuscule intitulé “Le statut des moines”, sous le pseudo Nasreddin Lebatelier, l’islamologue converti à l’islam, Jean Michot (professeur à l’université catholique de Louvain et à l’université d’Oxford, président du Conseil Supérieur des Musulmans de Belgique, CSMB), donne les justifications canoniques et légales du meurtre des moines de Tibéhirine (LIRE). Devant le scandale causé par cette justification, Jean Michot a du démissionné de son poste universitaire et du CSMB. Cependant, cet organisme représentatif des musulmans belges n’a ni réfuté le contenu de l’opuscule “Le statut des moines”, ni affirmé le principe de la liberté religieuse.

L’article “Soixante dix musulmans écrivent au pape François” publié par Zenit, site catholique sérieux, aurait demandé certaines précautions avec ajout d’un bref commentaire explicatif. En effet, tout lecteur non informé ne peut que prendre pour “paroles d’Évangile” la présentation des assertions des rédacteurs de la lettre adressée au pape François, reproduite par Zenit. Ceci ne va pas dans le sens des exigences de “professionnalisme, fidélité, et service de la vérité” affichées par ce site catholique.

[1] Le père François Jourdan, prêtre eudiste, islamologue, docteur en théologie, en histoire des religions et en anthropologie religieuse, est l’auteur de plusieurs ouvrages dont: “Dieu des chrétiens, Dieu des musulmans. Des repères pour comprendre” (L’œuvre, 2008, préfacé par Rémi Brague) qui met en cause l’assertion “chrétiens et musulmans ont le même Dieu”, et “La Bible face au Coran” (L’œuvre, 2011). Il a enseigné la mystique islamique à l’Institut Pontifical d’Études Arabes et islamiques de Rome (1994-1998), et l’islamologie pendant 15 ans à l’Institut Catholique de Paris, et 10 ans à l’École Cathédrale. Actuellement il enseigne à l’Institut Catholique de Toulouse. Le père François Jourdan a une pratique du dialogue islamo-chrétien, en tant que délégué du diocèse de Paris pour les relations avec l’islam (1998-2008), ce qui donne plus de poids à ses réponses aux questions de Moh-Christophe, fondateur de Notre-Dame de Kabylie (cf. ART).

[2] La conversion des musulmans au christianisme implique, pour les convertis, de vivre sous une permanente menace, car pour l’islam, l’apostasie est le sommet des crimes, véritable trahison pour l’oumma (communauté des fidèles). Elle est condamnée par deux hadiths (paroles du Prophète). Le premier énonce la sanction : “Celui qui abandonne sa religion islamique, tuez-le.” (Sahih al-Bukhari Volume 4, Livre 52, Numéro 260). Le second prophétise une époque d’amplification de l’apostasie, et précise que tout “fidèle”, se faisant juge et bourreau, aura une récompense dans l’au-delà : “J’ai entendu le prophète dire, “à la fin des temps, apparaîtront des jeunes gens aux idées folles. Ils parleront bien, mais ils sortiront de l’islam comme une flèche sort de son jeu, leur foi ne dépassera pas leur gorge. Ainsi, partout où vous les trouvez, tuez les, il y’aura une récompense pour ceux qui les tueront au jour de la résurrection.” (Sahih al-Bukhari Volume 6, livre 61, Numéro 577).

Bien que cette sanction ne figure pas explicitement dans le Coran, il faut savoir que ces hadiths jouissent de la plus grande autorité. En effet, parmi les recueils de hadiths (éléments des livres canoniques de l’islam), six sont considérés comme authentiques (sahih) chez les sunnites, on les appelle les six sahîh (al-sihah al-sitta), la chaîne des témoins ayant été reconnue comme irréprochable. Deux d’entre eux sont considérés comme “excellents”: le sahih d’Al Boukari  et le sahih de Muslim. C’est cette “excellence” du Sahih al-Bukhari qui a permis de faire figurer la sanction de l’apostasie dans la constitution de certains pays musulmans. Ainsi l’article 306 de la Constitution de Mauritanie dit : Chaque Musulman coupable du crime d’apostasie, soit par mot ou par action, sera invité à se repentir sur une période de trois jours. S’il ne se repent pas dans cette limite du temps, il sera condamné à mort comme un apostat et sa propriété sera confisquée par la Trésorerie.”