1- Introduction

Le 11 octobre 2007 a marqué une nouvelle phase du dialogue islamo-chrétien. A cette date 138 leaders musulmans ont publié une lettre ouverte au Pape Benoît XVI et aux responsables de différentes confessions chrétiennes. Elle invite les deux religions à regarder ce qu’elles ont en commun. En particulier elle dit que la paix dans le monde dépend de la coexistence entre les chrétiens et les musulmans, qui représentent ensemble 55% de l’humanité, et voit l’amour de Dieu et l’amour du prochain, valeurs partagées par le christianisme et l’Islam, comme base de cette coexistence.

Sur le site Notre-Dame de Kabylie, l’article “Le dialogue islamo-chrétien après la lettre des 138 leaders musulmans” a analysé certaines réponses de responsables catholiques. Plus particulièrement il a souligné la nécessité d’une connaissance approfondie de l’interlocuteur et de ses objectifs, pour que la suite à donner à l’ouverture des 138 leaders musulmans se traduise par des effets positifs sur la liberté de choisir ou de changer de religion, et sur le sort des minorités chrétiennes en terre d’islam. Ce texte est donné par:

www.notredamedekabylie.net/ExpressionAwal/tabid/63/articleType/ArticleView/articleId/224/Default.aspx

Lui faisant suite, ce nouvel article fait le point sur les premiers contacts entre le Vatican et certains représentants des 138 après l’envoi de leur lettre. Dès le départ ces échanges ont fait apparaître des divergences non négligeables au sujet de la nature du dialogue. En effet les représentants des 138 le veulent essentiellement limité au terrain doctrinal et théologique. Le Vatican désire surtout parler de ce qu’implique une “parole commune” basée sur l’amour de Dieu et du prochain: la liberté religieuse, la parité entre l’homme et la femme, la distinction entre le pouvoir religieux et le pouvoir politique. Malgré ces difficultés une première rencontre à Rome (4 et 5 mars 2008) a été décidée. Elle est destinée à préparer la visite au Vatican d’un groupe de représentants des 138.

Comme base du compte rendu de ces premiers contacts, les articles bien documentés de Sandro Magister, journaliste italien, spécialiste renommé de l’information religieuse, ont été choisis. Ils sont ici résumés, des liens donnant accès au texte intégral en français..

2- Comment l’Eglise de Rome répond à la lettre des 138 musulmans

C’est sous ce titre que Sandro Magister publie le 2 novembre 2007, peu de temps après la lettre des 138, , un premier article sur les échanges entre le Vatican et les 138

chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/173961?fr=y

A cette date, dans l’attente d’une réponse officielle, seuls les experts s’expriment. Un premier échange de messages entre le cardinal Jean-Louis Tauran, président du conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, et le théologien libyen Aref Ali Nayed, professeur à l’université de Cambridge, l’un des principaux auteurs de la lettre des 138, a lieu. Sandro Magister note des “premiers incidents de parcours”, en particulier celui engendré par une phrase du cardinal Jean-Louis Tauran, président du conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, dans une interview accordée le 18 octobre 2007 au quotidien français “La Croix”.

www.la-croix.com/article/index.jsp?docId=2317870&rubId=4078

Le cardinal s’exprimait en ces termes: ”Avec certaines religions, on peut avoir des discussions théologiques. Mais avec l’islam, non, pas pour le moment. Les musulmans n’acceptent pas que l’on puisse discuter sur le Coran, car il est écrit, disent-ils, sous la dictée de Dieu. Avec une interprétation aussi absolue, il est difficile de discuter du contenu de la foi”.

Interviewé par CNN Aref Ali Nayed contestait cette affirmation en disant: “En tout cas, les opinions des autorités de l’Eglise catholique concernant la possibilité pour les musulmans de “discuter sur le Coran” sont plus nuancées que ce que la phrase du cardinal Tauran donne à penser”.

3- Pourquoi Benoît XVI est si prudent au sujet de la lettre des 138 musulmans

C’est le titre du deuxième article de Sandro Magister, où il est dit que le dialogue souhaité par Benoît XVI n’est pas celui choisi par les 138. En effet dans des documents antérieurs, le Pape avait demandé à l’islam de suivre le même cheminement qu’avait accompli l’Eglise catholique sous la pression des Lumières. L’amour de Dieu et du prochain doit se réaliser dans l’acceptation totale de la liberté religieuse.

chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/178461?fr=y

Ainsi face à l’acceptation d’un dialogue sans condition, qui apparaît dans la plupart des réponses chrétiennes publiées sur le site des 138 “A common word”, Benoît XVI et les dirigeants du Saint-Siège paraissent plus prudents et réservés. Dès qu’il a reçu la lettre des 138 musulmans, le Saint-Siège en a aimablement accusé réception, mais il a renvoyé à plus tard une réponse plus approfondie. Il faut noter aussi que le premier commentaire (peu prudent) à la lettre des 138, émis par l’Institut pontifical d’études arabes et d’islamologie (PISAI) n’est jamais cité par le Vatican. A l’inverse les commentaires de deux jésuites islamologues très appréciés par Benoît XVI, l’Egyptien Samir Khalil Samir et l’Allemand Christian W. Troll, ne vont pas dans le sens d’un dialogue sans condition. Ces commentaires – en particulier celui de Troll – nous font comprendre pourquoi l’Eglise de Rome est si prudente.

Ainsi Troll note que la lettre des 138 musulmans, en insistant sur les commandements de l’amour de Dieu et de son prochain comme “parole commune” au Coran et à la Bible, semble vouloir porter le dialogue uniquement sur le terrain doctrinal et théologique. “Cependant – remarque-t-il – il y a une différence abyssale entre le Dieu unique des musulmans et le Dieu trinitaire des chrétiens, avec le Fils qui s’est fait homme. La vraie “parole commune” doit être cherchée ailleurs: “en appliquant ces commandements à la réalité concrète des sociétés pluralistes, ici et maintenant”. Elle doit être cherchée dans la protection des droits de l’homme, de la liberté religieuse, de la parité entre l’homme et la femme, de la distinction entre le pouvoir religieux et le pouvoir politique. La lettre des 138 est évasive ou muette sur tous ces sujets“.

En fait le choix des 138 est délibéré. Aref Ali Nayed est d’ailleurs très clair sur ce point. Il explique la position des 138 dans une interview accordée à “Catholic News Service”, l’agence de la conférence des évêques des Etats-Unis, dans ces termes: “Le dialogue éthico-social est utile et l’on en a grand besoin. Mais ce type de dialogue se produit déjà chaque jour, par le biais d’institutions tout à fait séculières comme les Nations Unies et ses organismes. Si des communautés fondées sur la révélation religieuse veulent vraiment apporter leur contribution à l’humanité, leur dialogue doit être fondé théologiquement et spirituellement. De nombreux théologiens musulmans ne sont pas du tout intéressés par un dialogue purement éthique entre culture et civilisation”.

4- Le cardinal écrit, le prince répond. Les raisons qui séparent le Pape des musulmans

C’est ainsi qu’est intitulé le troisième article de Sandro Magister daté du 2 janvier 2008, donné intégralement dans:

chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/184641?fr=y

Il traite de nouveau du désaccord des positions chrétiennes et musulmanes, qui non seulement concerne la foi mais aussi les conquêtes des Lumières, qu’il s’agisse de la liberté religieuse ou de la parité entre homme et femme, l’Eglise catholique les ayant fait siennes, pas l’islam.

Une nouvelle information est fournie avec l’annonce d’une très prochaine rencontre que le cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux , qualifie d’”historique” dans une interview accordée à “L’Osservatore Romano” du 30 décembre, tout en mentionnant que les difficultés à surmonter restent importantes. En effet un échange de lettres entre le cardinal Bertone Secrétaire d’Etat et le prince de Jordanie Ghazi bin Muhammad bin Talal (à l’origine de la lettre des 138), président de l’Aal al-Bayt Institute for Islamic Thought, montre le désaccord profond des deux parties, concernant les sujets sur lesquels doit porter le débat. La lettre du cardinal Bertone, datée du 19 novembre et rendue publique une dizaine de jours plus tard, propose trois principaux sujets de discussion: “un respect effectif de la dignité de tout être humain “; “la connaissance objective de la religion de l’autre”; “l’engagement commun à promouvoir le respect et l’acceptation mutuels entre les jeunes”.

Dans son commentaire de la lettre du cardinal Bertone, le jésuite égyptien Samir Khalil Samir souligne que la lettre des 138 n’est pas claire à propos du premier des trois sujets. A tel point que certains signataires ont exprimé leur manque total d’intérêt pour une discussion sur la liberté de conscience, l’égalité entre homme et femme et entre croyant et non-croyant, la séparation entre pouvoir religieux et pouvoir politique. A l’inverse, la lettre du prince de Jordanie au cardinal Bertone, datée du 12 décembre et elle aussi rendue publique une dizaine de jours plus tard, insiste de nouveau sur le fait que le dialogue entre catholiques et musulmans doit être d’abord “théologique” et “spirituel”. Il doit en outre avoir pour objet – plus que des aspects définis comme “extrinsèques” tels que les commandements de la loi naturelle, la liberté religieuse et la parité entre homme et femme – cette “Parole commune entre nous et vous” qui est au centre de la lettre des 138, à savoir l’unicité de Dieu et le double commandement de l’amour de Dieu et du prochain.

Les attaques polémiques contre la position adoptée par le Vatican ne manquent pas dans la réponse du prince de Jordanie. La première se réfère à la déclaration du cardinal Tauran mentionnée dans le paragraphe 2, et le silence de Benoît XVI à propos de la lettre des 138. La deuxième attaque se trouve à la fin de la lettre: elle concerne “certaines déclarations récentes en provenance du Vatican et de certains de ses conseillers”. C’est à nouveau le cardinal Tauran qui est visé, ainsi que les islamologues Samir et Troll. Ce dernier avait publié dans “La Civiltà Cattolica”, avec l’autorisation de la secrétairerie d’état, une analyse critique de la lettre des 138, à l’époque même où le cardinal Bertone écrivait au prince de Jordanie au nom du Pape.

Ce troisième article de Sandro Magister a l’intérêt de donner les textes complets de ces échanges, c’est-à-dire:

– la lettre du cardinal Bertone au prince de Jordanie Ghazi bin Muhammad bin Talal,

– le commentaire de cette lettre par Samir Khalil Samir,

– la réponse du prince de Jordanie au cardinal Bertone.

5- Cinq musulmans au Vatican, pour préparer l’audience avec le Pape

Ce sont les représentants de la “lettre des 138” écrite à Benoît XVI en octobre dernier. Cet article du 6 février 2008

chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/188961?fr=y

nous dit qui ils sont et d’où ils viennent. Il annonce maintenant des dates, les 4 et 5 mars, pour les premières rencontres en vue de la préparation de la visite au Vatican d’un groupe de représentants des 138 personnalités musulmanes Les réunions se dérouleront au conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, présidé par le cardinal Jean-Louis Tauran. Selon l’agenda, les représentants de l’islam rencontreront Benoît XVI et d’autres autorités de l’Eglise à partir du printemps prochain. Ils participeront aussi à des sessions d’étude dans des instituts tels que l’Université pontificale grégorienne et l’Institut pontifical d’études arabes et d’islamologie, PISAI.

La délégation musulmane sera composée de cinq chercheurs de cinq pays différents:

– Le Turc Ibrahim Kalin, directeur de la Fondation SETA à Ankara et professeur à l’université de Georgetown, à Washington;

– L’Anglais Abd al-Hakim Murad Winter, professeur d’études islamiques à la Shaykh Zayed Divinity School de l’université de Cambridge et directeur du Muslim Academic Trust du Royaume-Uni;

– Le Jordanien Sohail Nakhooda, directeur d”Islamica Magazine”, revue internationale éditée aux Etats-Unis;

– Le Libyen Aref Ali Nayed, membre de l’Interfaith Program de la Faculty of Divinity de l’université de Cambridge et qui enseigne déjà à l’International Institute for Islamic Thought and civilization de Malaisie et à l’Institut pontifical d’études arabes et d’islamologie de Rome;

– L’Italien Yahya Sergio Yahe Pallavicini, imam de la mosquée al-Wahid de Milan, président du Conseil ISESCO pour l’étude et la culture en Occident et vice-président de la Communauté religieuse islamique d’Italie, COREIS.

Tous font partie du groupe d’experts coordonné depuis Amman par le prince de Jordanie Ghazi bin Muhammad bin Talal, président de l’Aal al-Bayt Institute for Islamic Thought. C’est lui qui est à l’origine de la lettre des 138 et qui a supervisé l’échange de lettres avec Benoît XVI en novembre et décembre par le biais du cardinal secrétaire d’état Tarcisio Bertone, pour préparer la future rencontre.

6-En guise de conclusion une interview du cardinal Tauran

L’intégralité de cette interview est donnée sur le site de Zenith

www.zenit.org/article-17251?l=french

Dans le cadre des futures rencontres avec les musulmans, le cardinal Tauran espère arriver à un partage de convictions communes telles que: l’adoration du Dieu unique, la sacralité de la vie humaine, la dignité de la famille, le souci de l’éducation de la jeunesse. Il juge aussi nécessaire des discussions sur l’interprétation des droits de l’homme, les conventions internationales qui les définissent, sur le principe de la réciprocité particulièrement important dans le contexte de la liberté religieuse. A une dernière question sur le risque d’aboutir simplement à un dialogue sympathique, mais qui laisse de côté les problèmes et les divisions, il répond: “C’est un risque sans doute, mais je crois que tout l’intérêt de cette réunion que nous allons avoir avec les représentants des 138, qui sont maintenant d’ailleurs 241, c’est de mettre sur pied une structure de dialogue, comme un canal qui sera toujours ouvert et où on pourra se retrouver. C’est un peu ce que voudrais proposer, de manière à ce que justement ce dialogue soit quelque chose de continu, de structuré, pour éviter une certaine superficialité. Tout en soulignant bien que nous ne disons pas : « toutes les religions se valent ». Nous disons « tous les chercheurs de Dieu ont la même dignité ». C’est ça le dialogue interreligieux, ce n’est pas du tout un syncrétisme. C’est dire : « toutes les personnes qui sont à la recherche de Dieu ont la même dignité, donc doivent jouir de la même liberté, du même respect».

Il est réconfortant de voir que le cardinal Tauran réaffirme avec force que toutes les religions n’ont pas la même valeur. Implicitement, comme Benoît XVI l’a fait explicitement à maintes reprises, il dénonce ainsi le relativisme qui a contaminé une partie des catholiques. Dans ce domaine le cas de la France est particulièrement grave, comme l’a montré en décembre 2007 un sondage du quotidien “La Croix”, annonçant que 63 % des catholiques pratiquants disent que “toutes les religions se valent”. Ils sont même plus nombreux à professer cette idée que… les non-pratiquants (60 %)!

Sur ce sujet, dans la rubrique “Témoignages” de “Notre-Dame de Kabylie”, les lecteurs pourront aussi consulter le témoignage de Mohammed-Christophe “Si le Dieu du Coran est le même que celui des chrétiens, pourquoi moi, Mohammed, suis je devenu Christophe ?