Kamel Daoud ou Da-vedd kamel(*)

L’Algérie « hors les murs » tient un intellectuel d’une pensée peu ordinaire, je dois dire.

Il avait déjà osé dire que « mon corps n’appartient pas à l’islam », et dans cet autre article il continue sur sa lancée pour faire flamboyer sa langue scripturaire par des expressions qui feront date :

  • J’ai toujours voulu défendre comme un droit de propriété le fait de posséder sa propre vie.
  • puisque personne ne peut mourir à ma place, personne n’a le droit de vivre à ma place.
  • Je crois que c’est l’homme qui est sacré et non le Livre [Coran]. Quand on veut sacraliser le Livre, on en vient à exclure l’homme.

Avec cette explication : « Cette certitude de la solitude devant la mort me donne tous les droits. J’ai le droit de vivre ma vie comme je l’entends, sans avoir à composer outre mesure avec les idéologies, les idées ou les religions dominantes. »

Si d’aucuns s’empresseront de le taxer d’apostat, il faut lui en savoir gré de ne pas reculer face à ces tenants de la religion dominante, chez lui en Algérie,  qu’il incrimine indirectement, car en effet il a déjà eu affaire à eux puisqu’il a intenté et gagné son procès contre l’imam qui a édicté une fatwa contre lui en 2014.

En vérité un chrétien algérien ne peut qu’être d’accord et prendre à son compte ses propos, même dans ce qu’ils peuvent avoir d’irréligieux : « S’il existe, d’un côté, la fabrique du dissident à partir de figures comme la mienne, ici, au sud, il y a aussi la fabrique du traître. Entre la figure du traître et celle du dissident, il faut essayer d’exercer sa liberté, et surtout de garder du plaisir à le faire. »

Sans le dire il compare sans arrêt les deux sociétés qui se toisent et se jaugent par-delà la Méditerranée. Les intellectuels des uns, ceux de France ou d’Europe, veulent ignorer les tares de la rive sud qu’ils magnifient exclusivement ; ceux de là-bas, du Maghreb, ne veulent surtout pas balayer devant leur porte et se remettre en question.

De sorte que le « schmilblick » n’avance nulle part.

Bref Kamel Daoud nous sort de ces ornières et promeut la lucidité chez l’intellectuel, et en ce sens il est unique : jamais un tel penseur, depuis Ibn Khaldoun, n’a paru au Maghreb marqué par l’islam.

Oui la lucidité est la méthode de réflexion qui y manque le plus. Saluons donc l’entreprise de cet Oranais qui déclare : « Honnêtement, qu’est-ce que nous apportons au monde ? Rien du tout. C’est cruel de le dire, c’est blessant pour l’image narcissique des post-colonisés, ça heurte cette culture du din [de la religion, ndlr] chez nous, mais c’est la vérité. Je ne remets pas en question l’apport d’individualités, la bonne foi de beaucoup de gens et leur sacrifice ; je parle d’un bilan collectif. »

Cependant l’Occidental qui l’interroge le pousse dans ses retranchements, car par sa formation littéraire et philosophique Kamel Daoud est, qu’il le veuille ou non, en effet, lui aussi un moderne « occidentalisé ». C’est grâce aux outils linguistiques du français, il le reconnait en sens inverse pour l’arabe, qu’il peut analyser de manière nouvelle la société algérienne.

Mais quand il aborde le continent spirituel et métaphysique, par sa formation occidentale, française plus précisément, voire laïque plus spécifiquement, il manque d’originalité et de profondeur et ne peut que reprendre un discours féministe éculé aujourd’hui avec la PMA et la GPA. À la question « À vos yeux, qu’est-ce que la liberté appliquée à la sexualité ? » Il n’a d’autre réponse que « c’est le droit de disposer de son corps, qu’il ne soit pas un bien collectif mais individuel… Mon corps m’appartient, il est ma propriété,… je n’ai pas à le vivre comme étant quelque chose qui m’a été prêté par le ciel ou par la loi. »

C’est un peu court. Mais l’article aussi. Et autre circonstance atténuante : les questions sont pilotées et viennent de gens qui ont pour dieu adoré la sexualité. Peut-être en est-il aussi ? Comme beaucoup le sont dans les contrées habitées par de petites gens, qui ne peuvent mais à leur situation, après tout. 

(*) Jeu de mot kabyle qui donne : Da-vedd kamel, mon aîné est debout en entier. Inspiré de ce qu’il a dit au sujet des anciens : « J’aime dire : être un ancêtre se mérite. Je voudrais que l’on se souvienne de moi de cette façon-là aussi. »