Présentation de l’auteur

Le Père Simon Dib prépare une thèse en “Philosophie des Religions” à l’Institut Catholique de Toulouse, sous la direction de la professeur Marie-Thérèse Urvoy. Il est curé d’une paroisse à Tripoli (Liban), depuis 2011 lieu d’affrontement entre sunnites et alaouites en rapport avec la guerre civile syrienne, où les chrétiens minoritaires vivent, comme en Syrie, dans la crainte de représailles. Devant l’indifférence de l’Occident, cet article exprime l’angoisse de tous les chrétiens du Moyen Orient devant un avenir incertain. Il demande à ces chrétiens, premiers occupants de ces régions, de ne pas céder à la tentation de l’exil, en insistant sur leur devoir de missionnaire, afin de préserver les traces d’une tradition bimillénaire.  

 
Être chrétien dans une terre arabo-musulmane
 

Ce texte est un témoignage de vie, une vision “au singulier” d’une personne qui a le devoir de diffuser le vécu des chrétiens vivant sur une terre arabo-musulmane. Mais être chrétien c’est aussi penser comment peut-on l’être au présent et au futur. Je propose donc de commenter le titre et d’analyser toutes les ramifications qui révélent l’inquiétude des chrétiens du Moyen Orient. Sur la base de mon analyse, mes sentiments se dévoileront progressivement à travers la façon même de traiter le sujet, et d’exposer ma vision de la situation.

En résumé, être chrétien dans ces pays relève du défi, car cette terre jadis chrétienne est devenue arabe, et tend maintenant à être uniquement musulmane. Les chrétiens perdent du terrain en ce qui concerne leur espace, leur place dans la société, la politique, la démographie et la foi. Il convient alors de se situer pour savoir comment être chrétien, car on ne peut pas l’être spontanément.

A travers les medias, vous vivez les événements du Moyen-Orient. Ceci n’est pas forcément lié aux dernières informations, car il s’agit surtout d’une ancienne histoire de guerres et de conflits. Pour les occidentaux, il est très difficile d’y voir clair.

Que veut dire être chrétien ?

La question ne se pose pas en termes du contenu de la foi, mais dans le sens identitaire. Autrement dit, de quel christianisme s’agit-il? Comment vivre sa foi, et être intégré socialement à la population? Vivre chrétiennement en Orient, c’est vivre en confrontation avec l’Islam, car la foi chrétienne n’est pas une évidence – et nous allons voir pourquoi – la confrontation est non seulement au niveau doctrinal, mais elle l’est aussi au niveau social. Si le chrétien d’Occident peut évoluer dans l’Église et vivre sa foi dans le cadre de l’État, en Orient l’Islam ne se séparera jamais de l’État, ainsi le chrétien doit vivre avec cette réalité. Pour pouvoir vivre sa foi en Orient, le premier obstacle du chrétien est déjà l’État de droit. Ensuite vient l’absence de séparation de l’État et de la religion (qui est l’Islam). Enfin, il doit actualiser sa foi, la nourrir. Pour le faire il a besoin de stabilité d’un retour aux sources, retour à soi, ce qui manque beaucoup dans cette terre de conflits.

Il existe treize façons d’être chrétien en Orient, treize au niveau des différentes traditions des Églises. Chacune a sa particularité, sa foi et sa tradition. Chacune a son espace géographique, et sa façon de s’exprimer. On appelle souvent cette réalité l’Orient chrétien, pour résumer une complexité qui approche la confusion.

Que veut dire Orient chrétien ?

Cette appellation vague s’exprime comme venant de l’extérieur, plus précisément d’un Occident chrétien. Mais qu’en est-il de l’intérieur? Cette appellation recouvre un cas à part. Considéré globalement sans particularités, ce cas est semblable à celui de l’Afrique prise dans sa globalité. Mais cette appellation n’exprime pas une totalité, une unité, ou du moins l’unité de ce qu’on appelle Orient chrétien qui est une unité plurielle. Sans entrer dans les détails, nous courons le risque d’être abstrait, imprécis. Précisons donc l’état des lieux.

En disant Orient chrétien, nous parlons de treize Églises, ou communautés différentes, chacune avec son histoire, une liturgie différente, une langue parfois différente, une tradition différente (avec tout ce que cette notion englobe, de la musique à l’architecture, en passant par les coutumes, les normes et les textes…), enfin avec des territoires différents. Cette situation se traduit différemment dans l’expérience de la foi vécue. Ces treize Églises sont:

1.      L’Église Maronite

2.      L’Église Byzantine orthodoxe

3.      L’Église Byzantine catholique

4.      L’Église Syriaque orthodoxe

5.      L’Église Syriaque catholique

6.      L’Église Arménienne orthodoxe

7.      L’Église Arménienne catholique

8.      L’Église Copte orthodoxe

9.      L’Église Copte catholique

10.L’Église Chaldéenne

11.L’Église Assyrienne

12.L’Église Latine

13.L’Église Protestante, baptiste et épiscopale

Il s’agit donc d’une mosaïque, une richesse pour les optimistes, pour les militants de la pluralité et de la diversité culturelle, ceux qui s’attachent à l’anthropologie et l’ethnologie, aussi pour les historiens des civilisations. En réalité, il s’agit d’une situation de grande faiblesse face à la forte cohésion, à l’uniformité, au totalitarisme, et à l’extrémisme musulman.

L’étendue de cette terre

En réalité, il ne s’agit pas d’une seule terre arabo-musulmane, nous ne parlons pas ici d’un pays, mais de quelque chose de grand comme l’Europe, dont le fondement est le nationalisme arabe. Cette terre va de l’Est Iraquien à la frontière persique en passant par la Syrie, la Jordanie, la Terre Sainte, en traversant le Liban, l’Égypte, allant jusqu’au Soudan et l’Ethiopie. Voici concrètement de quoi il s’agit géographiquement. Sur cette étendue vivent les chrétiens d’Orient appartenant à la fois à plusieurs Églises, et à plusieurs pays. Ainsi par exemple, les chrétiens assyriens d’Iraq vivent leur foi, et leur vie, autrement que ceux du Liban. Autrement dit, il est difficile, voire impossible, de comparer les conditions de vie des chrétiens des différents pays cités. Toutefois, nous pouvons nous prononcer dans un cadre général, avec quelques détails liés aux particularités de chaque pays.

Caractéristiques de cette terre

Depuis l’aube de l’histoire, cette terre, berceau des grandes civilisations est une terre de passage des conquérants, et aussi celle des grandes idées et des religions.

Avant Jésus Christ, aucun envahisseur n’a trouvé la gloire sans passer par ces lieux de victoire, emblématique : assyriens, pharaons, romains…

Avec la chrétienté, l’Église a pris racine sur ces côtes arrivant jusqu’à Rome, et les Pères de cette terre ont fixé la foi chrétienne, et les doctrines de la foi avec les sept premiers conciles, suite auxquels des schismes ont produit certaines communautés citées plus haut.

Or, depuis la première guerre mondiale, cette terre dominée par différents empires, s’est trouvée fragmentée en plusieurs régions, et plusieurs états gouvernés différemment, selon les idéologies du XXème siècle. Cela fait que les différentes Églises, auparavant appartenant à un même pays, sont maintenant contraintes de garder leur unité au-delà des limites territoriales de différents états.

Terre arabo-musulmane

Le titre de cet article indique que cette terre, jadis chrétienne, ne l’est plus, et de plus tout se passe comme si elle n’appartient qu’à l’islam, ce qui est difficile à admettre par les chrétiens de ces régions. Car si l’on peut accepter son identité arabe du fait qu’elle est arabisée, je n’accepterai jamais qu’elle ne soit que musulmane. En effet, si elle est arabe, elle n’exclut pas ma présence du fait que l’appellation arabe porte la connotation d’une civilisation et d’une langue. Je pourrais ainsi être chrétien arabe en préservant ma foi chrétienne. Une terre arabe peut abriter chrétiens et musulmans. En revanche, si elle est musulmane, elle le sera exclusivement, car l’islam est à la fois une religion et un État qui gouverne.

Toutefois, cette évidence n’en est pas une pour les musulmans qui ne peuvent en aucun cas concevoir la religion séparée de l’État, d’où un problème majeur. Pour les musulmans, qui dit État, ou gouvernement, dit État musulman. Là où l’islam se trouve, la terre doit être musulmane, ainsi que le gouvernement et la législation.

Qui sont les musulmans ?

Des études ont fait le lien entre l’origine de l’islam et les nazaréens qui formaient une secte judéo-chrétienne d’Arabie, de doctrine ébionite. Cette communauté reconnait Jésus de Nazareth en tant que prophète et Maitre, sans croire à sa crucifixion, encore moins à sa divinité. Comme les nazaréens, les musulmans considèrent que les chrétiens ont falsifié les Écritures et ont divinisé l’homme. Pour eux, les chrétiens sont donc des “égarés” [*].   

Le statut des chrétiens dans un État islamique

La religion en islam fonde l’État. C’est pourquoi le Coran réserve aux chrétiens plusieurs appellations qui les distinguent du peuple, ce qui constitue d’emblée une discrimination. On est loin du concept de l’État moderne avec la séparation entre le politique et la religion.

Les chrétiens sont dénommés par l’Islam al Zimma (pris en charge). Ils ont un statut particulier vis-à-vis de la communauté islamique (Oumma), avec protection de l’État moyennant un impôt spécifique [**], sans droit de participation à la vie politique. En effet, un gouvernement islamique doit gouverner avec les musulmans, la nation-communauté, et non avec des infidèles. Il y a une tolérance actuellement dans quelques États arabo-musulmans, où l’on voit un député par-ci, un ministre par là, je dirais pour le décor.

Les chrétiens sont aussi appelés les Roumes appellation qui date de l’époque byzantine, et qui assimile les chrétiens contemporains à ceux de Byzance considérés comme adversaires et ennemis…

Je me limite à ces appellations, sans détailler ce que le chrétien ressent quand il est traité d’infidèle (kafer), ou de polythéiste (mouchrik) pour sa foi en la Sainte Trinite.

De la part des musulmans, cette façon de concevoir les chrétiens donne à ces derniers un sentiment d’être étrangers, rejetés, méprisés, même persécutés selon les époques, les conjonctures, les États et leurs régimes.

Afin de se montrer originaires, et non étrangers à leur pays d’origine, ils se sont refugiés dans les appellations d’origines de leur pays. Ainsi il y a les assyriens, les Chaldéens, les Byzantins, les Coptes. Cependant, quelques fois, à force de revendiquer leur ancienneté à travers le passé, ils démissionnent du présent en négligeant leur citoyenneté, ou en s’opposant à l’arabité. Ainsi nous pouvons rencontrer un Maronite qui refuse d’être arabe -dans le sens de musulman- en prétendant avoir des origines phéniciennes. Or, par ce fait même, le chrétien devient schizophrène, partagé entre ce qu’il est, ce qu’il espère être, et ce qu’il ne veut pas être. Appartenant à un passé qu’il ignore souvent, refusant un présent auquel il ne veut pas appartenir, il perd ainsi un avenir à bâtir, et vit en suspens.

Pour qualifier la situation actuellement vécue, je vais essayer de la décrire dans un premier temps, au niveau individuel celui du chrétien oriental, dans un deuxième temps au niveau collectif des Églises orientales, et dans un troisième temps au niveau global, celui de la diversité des chrétiens dans les différents pays du Moyen Orient.

1- La Situation actuelle du chrétien oriental

L’appartenance et l’arabité : une crise d’identité.

Les chrétiens se vantaient d’être à l’origine de la philosophie arabe enseignée et traduite du grec par des moines syriens. Ils étaient fiers d’être à l’origine de la renaissance arabe du XVIIe siècle. Il est exceptionnel maintenant de voir des chrétiens affichant cette prétention. Ils ne croient plus à l’arabité, et ne cherchent plus à définir leur appartenance. Ils fuient, et se refugient dans la culture occidentale, ce qui les éloigne de leur environnement, et ainsi les rend étrangers à leur entourage.

La culture occidentale.

Cultivés et bilingues, les chrétiens sont très ouverts au monde extérieur, et bien informés. Ceci est certes un avantage culturel, mais malheureusement cette ouverture passe au delà de leur culture ambiante et de son contexte arabe, ce qui facilite leur déracinement. Ainsi ils s’identifient aux valeurs de l’Occident sans pouvoir les vivre. A la moindre occasion, ils préparent leur exil, saisissant la première opportunité pour le réaliser.

L’émigration.

Liée au chômage, à la recherche d’une vie meilleure, à l’attrait des pays du Nord, cet exil, légitime en principe, s’avère avoir des effets dévastateurs. En effet, il vide cette terre de jeunes chrétiens, qui ont tous les atouts pour continuer ailleurs, mais qui, une fois installés ailleurs, ne reviennent pratiquement jamais, car ailleurs ils sont respectés, loin de tout sentiment d’instabilité, loin des persécutions. Voilà le problème majeur vécu en Orient. Après l’obtention d’un diplôme, un étudiant prépare son exil, comme s’il s’agit d’une évidence, ou d’une voie de passage obligé.

Le problème fondamental.

A mon avis, il se situe au niveau de la mission. La vraie question qui se pose n’est pas à qui appartient cette terre, ou comment l’appeler, mais comment allons-nous la rendre ?

Est-elle une terre de mission destinée à être chrétienne ?

Elle l’était, elle l’est, le restera-t-elle ?

Dans tous les cas, beaucoup de chrétiens ne pensent plus qu’ils sont le peuple originaire, d’autres se sentent étrangers, d’autres se sentent persécutés. Il y a ceux qui désertent, mais rares sont ceux qui pensent, ou qui croient comme dit un des pères de l’Église : “toute terre étrangère nous est un pays et tout pays nous est une terre étrangère”.

Si l’Église est consciente de sa mission, de sa vocation en tant que levain, les chrétiens ne sont pas forcément conscients de leur propre vocation, de leur rôle et de la responsabilité dans la transmission de la foi. Il ne s’agit plus d’annoncer la Bonne Nouvelle, d’ailleurs elle n’est plus bonne pour une certaine élite, elle est encore moins bonne pour les chrétiens modernistes, elle est occultée par ceux qui sont trop ouverts à l’Autre au risque de perdre leur identité. “Évitons de choquer”, donc ne disons rien, telle est la devise de quelques uns. Il ne s’agit pas non plus de baptiser. Pourquoi faire du prosélytisme? Les missionnaires sont diabolisés par les musulmans, car ils ont apporté l’esprit occidental.

Le problème du chrétien “au singulier”

Le chrétien isolé est en danger. Sans communauté le chrétien ne peut pas être, ni exister. La communauté actualise la foi, l’entretient, elle protège aussi l’individu. Sans esprit de communauté, le chrétien est orphelin. Or, il est regrettable que beaucoup de chrétiens vivent au “singulier”, sans esprit communautaire, sans regroupement, sans esprit collectif de solidarité et d’entre-aide. Ils restent “singuliers”, sans appartenance à la paroisse, même au sein de la communauté. Ils consomment l’héritage de la foi – si j’ose dire – sans le reproduire, ou le renouveler pour leurs descendants. Ceci dans le meilleur des cas! Car d’une génération à l’autre beaucoup de cette tradition tombe dans l’oubli. Par souci d’ouverture, un chrétien peut s’ouvrir à toute la société sans penser à l’Autre chrétien (un chrétien peut vouloir connaître l’islam, alors qu’il ne connait ni son Église, ni les autres Églises).

2- La situation actuelle au niveau des Églises et leurs différents problèmes

Le problème existentiel.

Les Églises d’Orient se concertent, se mobilisent, et se penchent sur ce sujet préoccupant. Plusieurs congrès et synodes ont réuni les Patriarches et les évêques afin d’étudier les problèmes de leurs communautés. Plusieurs sessions et assemblées étudient en permanence les conséquences de ce recul, pour ne pas dire ce déclin. Des directives, des orientations et des aides sont mises en œuvre, mais cela reste insuffisant. Car l’Église a besoin d’aide, et d’appui à un autre niveau, au niveau de l’État, or les États ne sont pas chrétiens. Le poids politique manque. Les orientations de l’Église, ses propositions, et ses souhaits ne trouvent pas d’oreilles, parfois même chez des fidèles qui se sentent désarmés.

L’Église-mère protège ses enfants. Son souci obsessionnel devient celui de les sauver, et de les garder non pas seulement au niveau de la vie éternelle, mais surtout ici-bas. L’urgence fait que le souci de ne pas disparaitre l’emporte sur celui de se développer. Autrement dit, la logique de l’Église devient une logique du monde. Elle n’est pas encore capable, par renoncement, de dire : “mon royaume n’est pas de ce monde”, comme l’a dit Notre Seigneur Dieu Jésus. Cette affirmation convient pour passer d’un monde stable à un monde parfait qui est le Royaume de Dieu. Les Églises orientales s’occupent de l’essentiel, qui est la protection de leurs enfants. Cette stratégie d’urgence, qui s’occupe du besoin quotidien, ne leur permet pas d’aller au-delà, i.e. vers les domaines de la théologie, de la liturgie, elle ne leur permet pas de grandir dans le questionnement et l’évolution en se renouvelant. C’est pourquoi elles donnent l’impression de vieillir, d’avancer d’un pas lourd, et surtout d’être dépassées. Parfois elles paraissent ne présenter aucun intérêt, ceci même si elles portent un sang nouveau de prêtres jeunes et d’évêques jeunes, même si elles procèdent à des renouveaux liturgiques, l’Église, ou les Églises d’Orient, sont toujours préoccupées par l’urgent et l’essentiel de la vie, qui est de garder ce qui reste de tradition pour le reste de leurs fidèles. Elles ne vivent point le repos. J’oserais dire, elles sont dans l’impossibilité d’aller proclamer au monde entier la Bonne Nouvelle, dans l’incapacité de baptiser au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, ou de prêcher à l’extérieur. Les Églises sont en état de fatigue, tournées vers l’intérieur, elles se réfléchissent, elles sont introverties. Ce retour sur soi est un moment de méditation, d’examen de conscience collectif. Les motifs ne manquent pas pour aller de l’avant, comme l’urgence de porter la foi chrétienne et de l’étendre, qui sont une question de survie, une chance, et une possibilité de subsister, sans lesquels nous chrétiens nous deviendrons les aborigènes d’orient.

Le problème du recul du christianisme.

Les lois des pays arabes interdisent la conversion au christianisme, et déconseillent les mariages mixtes. Elles s’opposent clairement et ouvertement à la christianisation des lieux et des personnes, alors qu’elles rongent ce qui reste des institutions chrétiennes: achat d’écoles, de terrains, et d’immobilier pour islamiser totalement ces pays. On est en présence d’une politique d’étouffement, face à une démission chrétienne et un recul permanent. L’invasion continue, beaucoup de lieux sont islamisés consciemment, ou inconsciemment. Les chrétiens participent tous, y compris les autorités des Églises, à cette hémorragie, sous des prétextes économiques, ou sociaux. Ainsi, au lieu de faire comme les premiers chrétiens, qui travaillaient pour avoir des espaces pour s’y installer, fonder des paroisses et bâtir des églises, on est en train de vendre contre un apport matériel selon la logique de ce monde.

Le problème théologique.

Les nouveaux courants théologiques de la discipline “Théologie des Religions” se penchent sur l’ouverture vers les différentes religions, vue comme communication interreligieuse favorisant l’acceptation de l’Autre dans sa différence. Ces courants sont nés au sein des sociétés qui ont connu les migrations récentes du XXème siècle, et qui se sont retrouvées embarrassées pour reconnaître l’Autre dans sa différence. L’Église universelle est ainsi passée de l’évangélisation au simple témoignage, d’un développement continu à un recul. Elle est passée d’un ecclésiocentrisme, i.e. un christocentrisme (hors du Christ il n’y a pas de Salut), à un théocentrisme, ou à une théologie pluraliste selon laquelle toutes les religions possèdent un souffle de l’Esprit (Vat II, L.G.). Finalement le Christianisme se trouve placé sur un pied d’égalité avec les autres religions. (Rahner considère des “chrétiens malgré eux”, qui ne sont pas encore conscient de leur condition chrétienne). La conséquence de ce recul est un relâchement qui se répercute dans tous les domaines de la vie du chrétien. La nouvelle spiritualité penche vers la grâce et le Salut gratuits, la pratique religieuse et les obligations étant réduites au strict minimum.

Si l’ouverture vers les autres religions peut être un apport positif pour l’intégration des immigrés dans les pays d’Occident, où l’État garantit le droit à la citoyenneté et à la justice, il n’en est pas ainsi en Orient. Relâchement dans les pays musulmans signifie perdition et dissolution. L’Islam est une religion de doctrine militante basée sur l’invasion, organisée pour la conquête, que ce soit par la force, ou par l’engagement. Si le chrétien vit de la liberté des enfants de Dieu, le musulman se réalise dans la mesure où il se conforme à la loi (Shari’a). Si le chrétien prie une fois par semaine à sa convenance, le musulman doit prier cinq fois par jour. Si le chrétien peut vivre la privation dans le jeûne à l’âge adulte, le petit musulman doit jeûner à partir de son jeune âge (7 ou 8 ans).

La nostalgie d’un Occident chrétien, qui viendrait en aide aux chrétiens, n’existe plus. Cet Occident laïc connait mal l’Orient. Comme un grand frère, la seule aide qu’il propose est d’ouvrir grand les bras aux exilés. Il accueille les déserteurs qui vendent leurs terrains. Il ne fait pas de pression politique pour aider sur place les chrétiens, car il y a confusion entre les chrétiens d’occident et l’Occident. Si l’Église Latine aide les Églises sœurs d’Orient, cela reste au niveau des Églises, et non des États.

3- La situation actuelle des chrétiens dans les différents pays arabo-musulmans

Même si les medias transmettent parfois une vision faussée de l’état actuel des chrétiens de ces pays, une vision amplifiée, ou dramatisée, cette vision reflète continument la fragilité d’une situation alarmante.

Si les chrétiens du Liban vivent la déception au niveau politique depuis l’accord de Taëf, avec la perte de leurs positions de pouvoir, et par là, du pouvoir du seul président chrétien en Orient, les chrétiens de Syrie, qui vivaient la stabilité sous le régime d’un président issu d’une minorité, vivent maintenant l’inquiétude pour ce qui viendra après lui. Cet équilibre fragile et précaire les plonge dans l’attente et la peur. Les chrétiens de Jordanie, peu nombreux, vivent tranquillement à l’ombre d’une jeune royauté d’une soixantaine d’année. Par contre, en Iraq on est en présence d’une persécution manifeste, de massacres des chrétiens spoliés de tout bien, ceci sous les yeux de l’État irakien d’une part, et des occupants américains d’autre part. Accusés de collaboration avec l’ennemi d’une part, et délaissés par l’État d’autre part, les chrétiens constituent une cible tactique, et font office de bouc émissaire, ce qui les conduit à la disparition. Ces agressions programmées touchent systématiquement tous les chrétiens des pays musulmans. Elles portent différents masques, et prennent plusieurs formes. Surtout elles préparent leur exil. Ainsi maintenant, l’Église assyrienne se trouve majoritairement en Suède et aux États-Unis. Elle a trois chaînes de télévision, qui émettent en syriaque sa musique, ses traditions et sa liturgie (je regarde parfois des programmes en suédois et en anglais). Autrement dit, ces chaînes cesseront de diffuser en syriaque dans une ou deux générations, et ces chrétiens seront définitivement assimilés au pays d’accueil.

Parfois le monde s’émeut de cette situation, cependant les aides humanitaires ne sont pas destinées au rapatriement ces chrétiens exilés. Ces aides ne rebâtiront pas les églises. Les églises finiront détruites et rasées. Alors que les musulmans bosniaques ont mobilisé la communauté internationale, et l’organisation mondiale d’aide aux refugiés, seules quelques déclarations ont été faites pour dénoncer ce qui se passe en Iraq contre les chrétiens. En Egypte, les chrétiens sont persécutés ouvertement, interdits de grands rassemblements, et de manifestations religieuses solennelles. Il leur faut un décret pour bâtir une Église, et pire encore un arrêt ministériel pour envisager la restauration d’un mur effondré. Interdits d’exercer les fonctions publiques, ils sont contraints de porter des noms non-chrétiens pour exercer une fonction. On facilite leur émigration comme partout ailleurs. Au Soudan, avec l’État islamique, et après des années de guerre, les séparatistes chrétiens ont signé la paix avant de voir leur chef assassiné juste après l’accord.

Conclusion.

Que dire maintenant ? Allons-nous déclarer la faillite ? Allons-nous abandonner notre foi, nos terres, nos églises? Allons-nous renoncer à nos différentes traditions, et nous dissoudre sans identité? La vraie question est: To be or not to be? Si on est, on est ce qu’on est, et on ne peut pas être autrement.

Nous pouvons identifier trois tendances face à cette situation. La première est une tendance rationnelle, et théologique savante, elle analyse et réveille. La deuxième est traditionnelle, ou traditionnaliste, elle se refugie dans la religiosité, la dévotion, la piété. La troisième, moderne et laïque, va vers la perte de l’identité pour faire face à l’extrémisme islamique. Ceci concerne les fidèles, comme les clercs. Ainsi, les chrétiens sont tiraillés, et presque perdus, surtout parce que leurs leaders politiques, immergés dans la politique, s’opposent.

L’unité fait la force, ce qui implique une coordination. Les Églises doivent rester en perpétuelle harmonie et coordination. Pour cela, elles doivent travailler comme une seule ÉGLISE ORIENTALE avec ses différentes composantes, ce qui n’est pas facile. Les chrétiens doivent se tourner vers eux-mêmes, sans s’emmurer dans un enfermement. J’invite à faire de cette coordination une priorité. La globalisation ronge tout, tandis que la coordination dissout les diversités, et abaisse les frontières là où elles feraient apparaître une différence.

Comme je l’ai déjà dit au début, je le dis à la fin, être chrétien sur cette terre est un défi. Comment s’y prendre, et comment répondre à l’exigence de la foi? C’est à nous tous de répondre. Comment les chrétiens d’Occident peuvent aider leurs frères dans la foi? En faisant pression sur leurs gouvernements, ou au-moins en médiatisant cette crise. Il faut freiner cette hémorragie, les Églises d’Orient sont en danger de mort.

  Père Simon DIB, chercheur en “Philosophie des Religions”

[*] Parallèlement au Père Simon Dib, on peut noter que la première sourate (Al-Fâtiha), au verset 7, traite les chrétiens “d’égarés“, et les juifs “objet du courroux divin”. C’est ce que dit exactement la note 1 du livre “Le Coran” (Maisonneuve & Larose, 2005) traduit par Régis Blachère (islamologue connu pour avoir produit la meilleure traduction du Coran): “Une Tradition que l’on fait remonter jusqu’au Prophète dit que les “les égarés” désigne les chrétiens, et que ceux qui sont l’objet du courroux sont les juifs”. Ici “Tradition” (avec T majuscule comme indiqué par Blachère) concerne ce qui est appelé “Tradition prophétique: hadiths”, faisant partie des textes canoniques, reconnus comme textes fondateurs avec le Coran.

[**] En complément de ce que dit le Père Simon Bib, on peut préciser que, sous le régime juridique de la dhimma, les “protégés” du pouvoir islamique (juifs, chrétiens, sabéens, zoroastriens) sont soumis à un tribut, la jizya. Le verset 29 de la sourate IX en parle, ajoutant que son paiement doit être fait “alors qu’ils sont humiliés”. Le site “Oumma.com” traduit “après s’être humiliés” (VOIR). Au sujet de l’humiliation subie, cf. le “Pacte d’Umar” (LIRE), ou (AUSSI). Dans la zone jihadiste de la Syrie, plusieurs règles de ce pacte sont maintenant appliquées (VOIR).