Mohammed-Christophe Bilek, fondateur du site et de l’association Notre-Dame de Kabylie, a été interviewé par Duane Alexander Miller Botero [VOIR], maître de conférences en Histoire de l’Église et en Théologie, au Séminaire Évangélique de Nazareth (Israël) [CF.]. Ce séminaire d’évangélisation offre des enseignements d’études chrétiennes, en anglais et en arabe. Il a été ouvert en 2007 par “Association of Baptist Churches in Israel “, qui est au service de la communauté arabe évangélique d’Israël.

 
Interview de Mohammed-Christophe
 

– 1) La plupart des gens qui se convertissent de l’islam au christianisme entrent dans la mouvance évangélique, pourtant vous êtes catholique. Que diriez-vous à une personne qui pense se convertir au christianisme à propos de l’Église catholique?

Pour répondre à cette question, je vais rappeler rapidement ma conversion : quand j’entendis parler à la radio, dans les années 60, de Jésus-Christ et de l’Évangile, tout en suivant un catéchisme à distance avec les protestants de Suisse, je fréquentais assidument les très belles églises du Moyen Âge du Vieux Paris. Pour moi c’était tout un : il n’y avait que des chrétiens, des disciples de Jésus-Christ. En résumé : comme la plupart des musulmans qui se convertissent, j’étais fasciné par Jésus Christ. C’est ensuite que j’ai découvert la division des chrétiens et que je suis entré dans l’Église catholique, à cause des saints comme François d’Assise ou Thérèse de l’Enfant Jésus.

Ma réponse est donc celle-ci : Jésus n’a pas fondé 36 églises, mais une seule ; or Il l’a fondé sur Pierre qui est le premier pape.

– 2) Le pape Benoît XVI a baptisé un musulman converti, Magdi Cristiano Allam, la veille de Pâques en 2008 dans la basilique Saint-Pierre. Cette personne a récemment annoncé qu’il quittait l’Église catholique parce que l’Église est trop molle dans ses décisions en ce qui concerne l’islam. Comment envisagez-vous son choix? Y’aurait-il quelque chose que vous aimeriez lui dire?

Non seulement j’avais quelque chose à lui dire, mais je l’ai fait [1]. Pour le reste si je n’approuve pas sa décision, je comprends sa déception.

L’islam, par la « charia » ou la loi islamique, condamne à mort ceux qui le quittent. L’Église, qui dialogue avec les autorités musulmanes, n’aborde pas cette terrible question avec elles, pourquoi ? Mais peut-être qu’il est de notre devoir, nous les néo-chrétiens issus de la tradition musulmane, d’alerter nos pasteurs et de les aider à résoudre ce grave problème et de pousser les responsables islamistes les plus connus, à se prononcer, devant la communauté internationale. Quelle est leur position en définitive : est-ce que l’islam est contre la liberté de conscience ou non ? Comment peuvent-ils réclamer une liberté religieuse qu’ils n’accordent pas de leur côté ?

– 3) Il est bien connu que la plupart des nouveaux chrétiens en Algérie sont des kabyles. Des Arabes se convertissent-ils également? Que pouvez-vous nous dire sur les interactions entre les convertis arabes et berbères?

Il y a eu et il y aura encore pendant quelque temps cette fausse idée qu’un Arabe est automatiquement musulman. Comme beaucoup de Kabyles le savent, et on le leur a fait comprendre si besoin qu’ils ne sont pas Arabes, il a donc été plus facile pour eux, dans les années 80, de s’interroger sur cette religion qui a été imposée à leurs ancêtres.

Mais aujourd’hui, pour rester sur le cas de l’Algérie, il y a de plus en plus de non Kabyles qui renoncent à l’islam et deviennent chrétiens. C’est un mouvement de fond et général, à l’échelle du monde arabo-musulman, que les responsables ne pourront pas endiguer bientôt : l’islam est en train d’imploser. Oh ! bien sûr tous ne deviendront pas chrétiens, mais l’islam pose question et deviendra un repoussoir là où sera appliquée la charia.

Pour ce qui est de la 2ème question, il faut savoir qu’un Arabe chrétien s’entend mieux avec un Kabyle, et vice-versa, parce que le Christ commande d’aimer son prochain comme soi-même. Malheureusement il y a une autre hostilité, importée d’Occident, qui vient briser cette possible harmonie, parfois, c’est la division entre catholiques et protestants.

– 4) Une des classes que j’enseigne ici à Nazareth concerne l’Histoire de l’Église ancienne. L’Afrique du Nord a compté quelques églises très importantes comme Carthage et Hippone ainsi que de grands saints comme saint Augustin, Perpétue, Félicité et Cyprien. Pourtant, le christianisme indigène a été presque totalement absent de la région depuis des siècles. Est-ce que l’histoire des premiers chrétiens de la région représente quelque chose d’important pour les nouveaux Chrétiens d’aujourd’hui? Ou est-ce juste un fait historique intéressant, mais sans grande importance aujourd’hui?

La découverte des saints africains, surtout le plus grand d’entre eux, à savoir Augustin de Thagaste [2], est toujours revigorante, presque euphorique : « Si mes ancêtres lointains ont été chrétiens, il n’y a donc pas de complexe à l’être », s’est dit plus d’un néophyte. Certains déclarent après leur baptême : « je suis revenu à la religion de mes pères ! » Mais plus généralement tout le christianisme antique permet de se poser la question de la liberté de choix. Si mon ancêtre lointain a choisi librement l’islam, qu’on me permette de faire ce choix moi-même ; mais si cette religion lui a été imposée « bessif » (par l’épée), alors je ne commets aucune trahison, à l’égard de ma tribu, si je la quitte.

– 5) De nombreux prêtres catholiques de l’Occident savent très peu de choses sur l’Islam et l’évangélisation. Quels conseils donneriez-vous à un prêtre de Lyon, Manchester, ou Chicago, qui est en contact avec une personne musulmane qui commence à venir à la messe ou qui lui demande une Bible?

C’est de faire la même chose que saint Philippe qui a demandé à l’Éthiopien [3], « comprends-tu ce que tu lis ? » Tout passe par la compréhension.

J’ai appris, jeune, 13 « hizb» (chapitres) du Coran par cœur, sans rien comprendre. En islam il est interdit de rechercher la compréhension des textes, il n’est pas bien vu de se poser des questions. Or dans le christianisme c’est tout le contraire : Dieu veut que nous l’adorions en esprit et en vérité, et Il nous dit encore que la vérité nous rendra libre [4].

Il faut accueillir les questions et les interrogations du musulman qui cherche la vérité, et ne rien lui dissimuler. Évidemment il doit appliquer la même méthode aux textes coraniques et se demander, par exemple, pourquoi Marie, la mère de Jésus, a dans le Coran pour père Imran, et pour frère Aaron, le frère de Moïse ?

– 6) Je voudrais en savoir plus sur votre site web. Pourquoi avez-vous commencé? Quel est son but? Quelles réactions avez-vous reçues?

Il n’y a rien de plus frustrant que de ne pas avoir de réponses aux questions qu’on se pose, et rien de plus rageant que de regarder une porte qu’on vous interdit d’ouvrir. Mais quand, par la grâce de Dieu, vous avez trouvé les réponses à vos questions et que la porte qui vous enfermait s’est ouverte, si vous ne partagez pas avec votre frère ce que vous avez découvert, c’est que vous ne l’aimez pas.

L’internet est merveilleux parce qu’il passe pardessus les censeurs pour rejoindre votre frère en recherche, il passe pardessus les frontières, et bientôt il fera sauter les barrières linguistiques. Bien-sûr il est comme l’auberge espagnole : on y trouve de tout, du bon grain comme de l’ivraie ; mais l’Esprit guide les vrais enfants de Dieu à trouver leur Sauveur.

Nous avons commencé début 2005. Ce fut difficile mais nécessaire à cause du cloisonnement du monde musulman. Ce qui freine c’est que l’internet n’est pas entré dans toutes les maisons, à cause de son coût et des réseaux défaillants. Mais les pays musulmans sont en train de rattraper leur retard.

Beaucoup de contradicteurs se contentent de nous saturer par des questions qu’ils ont copiées-collées, dont ils n’attendent pas de réponses. C’est souvent du temps perdu avec ceux-là ; mais combien de personnes ont pu être aidées à aller jusqu’au baptême, grâce à ce site modeste par ses moyens.

– 7) Il ya quelque temps St Francis Magazine a publié une «Lettre au pape Benoît XVI sur le témoignage catholique aux musulmans” [LIRE]. Si vous l’avez lue, je serais intéressé de savoir ce que vous pensez des recommandations de l’auteur au pape.

Ce sont de bonnes propositions pour deux d’entre elles.

– Nous avons eu de nombreux Nouveaux Testaments (avec les psaumes), auprès du diocèse de Meaux, que nous offrons gratuitement, depuis 8 ans. Rien ne peut remplacer l’Évangile pour évangéliser.

– Nous avons remarqué, en effet, qu’il y a beaucoup de rêves et de visions [5] qui incitent des musulmans à s’approcher de l’Église. Mais il n’y a pas, à mon avis, grande nécessité à rechercher des personnes douées pour les interpréter, car ils comprennent vite leur sens et la direction qui leur est montrée, de manière surnaturelle.

– Le 3ème point (baptiser en secret) devrait pouvoir être solutionné, selon moi, en accordant à des laïcs qui ont la confiance de leur pasteur, formés bien sûr, la possibilité de décerner secrètement le baptême, lorsqu’il y a danger pour le baptisé comme pour le prêtre. Il pourra toujours être validé ultérieurement, voire inscrit sur les registres, lors d’une sortie dans un pays plus libre. À condition que le Magistère impulse une telle initiative.

– 8) L’Église catholique a fait l’objet de nombreuses critiques de la part d’anciens musulmans chrétiens pour sa déclaration sur l’islam dans le document de Vatican II Nostra Aetate [VOIR], qui stipule que les musulmans «adorent le Dieu unique, vivant et subsistant …» et ne recommande pas d’évangéliser les musulmans , mais de «s’efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle ainsi qu’à protéger et à promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté. » (article 3). Comment lisez-vous et interprétez-vous la déclaration de Nostra Aetate?

Nous abordons ici le sujet crucial entre tous : est-ce que le Concile Vatican II « ne recommande pas d’évangéliser les musulmans ? » Si c’est le cas ma demande est : pourquoi courir le risque de mourir en devenant chrétien si l’islam est une voie de salut ?  

Mais cette interprétation signifierait que l’Église entérine la ségrégation établie par la loi islamique, entre les non-musulmans et les musulmans, ces derniers n’ayant pas le droit d’accéder à la Bonne Nouvelle, l’Évangile étant même rendu caduc, qui propose de baptiser tous les peuples.

– 9) Y’a-t’il d’autres choses que vous aimeriez partager?

Seigneur Jésus, Tu sais combien je suis pécheur, mais Tu as eu pitié de moi, et Tu es venu me proposer Ton amour, que j’ai accepté avec joie, et ma joie est à son comble. Tu sais aussi que je souhaite ce bonheur à tous mes frères et à tous mes amis de l’islam. Mais comme Tu les aimes plus que moi, j’ai confiance.

Quant à moi, Seigneur, que ma joie demeure !

 
Références
[1] Article “Faut-il quitter l’Église Catholique, pour qu’elle comprenne?” [LIRE]

[2] Dont la preuve qu’il était bien berbère a été apportée dans mon livre “Saint Augustin raconté à ma fille” [CF-1].

[3] Actes 8,30
[4] Jn 4,24 et 8,32

[5] Comme je l’indique dans le livre “Des musulmans qui deviennent chrétiens” [CF-2].

 

Note. Au sujet de Nostra Aetate, évoqué dans la question n° 8 posée par le professeur Alexander Miller, et plus généralement du dialogue islamo-chrétien, on peut lire l’article de Marie-Thérèse Urvoy [LIRE], professeur à l’Institut Catholique de Toulouse, et le livre publié par les Éditions du Cerf (avril 2014)  “La mésentente. Dictionnaire des difficultés doctrinales du dialogue islamo-chrétien” (auteurs Dominique et Marie-Thérèse Urvoy) (CF).